La boutique des contrefaçons

Voici deux semaines que Young-ae était arrivée en ville. Par chance, elle avait réussi à dégotter un petit local bien situé et avait vite pris contact avec quelques fournisseurs pour se fournir en bijoux et autres breloques qu'elles pourraient revendre trois à dix fois le prix d'achat.

Les préparatifs terminés, l'espace aménagé, elle était fin prête à recevoir ses premiers clients. le jour d'ouverture était arrivé. Le sourire aux lèvres Young-ae, maquillée à outrance pour cacher les rides au coin de ses yeux et faire bonne impression aux premiers clients, accrocha un panneau sur la porte vitrée sur lequel on pouvait lire :

Elle se posta ensuite au comptoir et parcourut du regard son antre :
Une petite trentaine de mètres carrés, de hautes vitrines et des étagères disposées de façon à séparer l'espace en quatre carrés égaux et au centre une petite table en verre présentant quelques pièces raffinées. Sur les murs, des gros clous plantés maintenaient quelques colliers en plusieurs exemplaires de faible valeur.

Tout n'était pas encore parfait, mais en moins de deux semaines, elle n'avait pas pu faire mieux.

La première heure passa, sans qu'un seul client ne se présente.

Putain, il y a pas un seul péquin assez curieux pour se rendre dans ma boutique, au moins pour découvrir la gueule que j'ai ????, pensa-t-elle.

plusieurs heures s'écoulèrent. Le sourire commercial de Young-ae devenait de plus en plus crispé et sa bonne humeur fondait comme un glaçon dans un verre de vodka au soleil.

Si ça continue, je ne vais pas refiler un seul article aujourd'hui, comment je vais payer mes fournisseurs ? Bah, je n'aurai qu'à les saouler, puis je leur sucerai le sang ! Ni vu, ni connu ! Après tout, je n'ai pas encore pensé à profiter de ma condition de vampire... faut bien que ça me serve !

Pour s'occuper, elle sortit son matériel à contrefaçon et commença à fabriquer quelques bijoux sur des modèles existants de grandes marques, pensant pouvoir ensuite en tirer de bons prix.

Il s'était totalement embrouillé avec Emiru. Mais Emiru avait vraiment dépassé les bornes. Ryo était un vampire inexpressif, certes. Ok, son visage ne changeait JAMAIS d'expression. Mais, ce n'était pas une raison pour lui taper sur le système et insister comme l'avait fait le petit médecin. Alors, depuis quatre jours maintenant, il ne l'avait pas croisé. Tant pis. Il n'était pas responsable. Du coup, il s'occupait comme il le pouvait.

Ce soir, il avait l'intention d'aller dessiner! Il n'avait plus le temps en ce moment, ça lui manquait. Et alors que le soleil s'était couché - tôt, merci l'hiver!, il était sortit en ville pour chercher ce qu'il allait coucher sur le papier. C'est à ce moment que son regard croisa l'écriteau de cette nouvelle boutique. Des bijoux... Il avait promit une bague à Emiru non?

Ouais, enfin, peut être que finalement il ne lui offrirait jamais? Bah... Rien ne l'empêchait d'aller jeter un coup d'oeil. L'Eien soupira donc et entra, son regard se posant sur une femme qui trafiquait des bijoux.

"Bonsoir."

Dit-il donc en commençant à se promener, regardant autour de lui ce que vendait cette nouvelle venue qu'il n'avait encore jamais croisée.

Alors que Young-ae achevait sa troisième bague Chanel - la perfection, on aurait presque dit une vraie, si ce n'est que la perle de mauvaise qualité, malgré tous ses efforts pour la mettre en valeur, faisait vraiment cheap et passait difficilement pour une pièce d'exception de la haute joaillerie Chanel - un client entra. Sursautant, elle balaya de la main ce qui se trouvait sur le comptoir afin de le dissimuler à la vue de l'homme qui venait de la saluer. le matériel tomba sur le sol avec fracas, mais au moins, il était maintenant caché.

"Bonsoir", répondit-elle avec un rire gêné.

L'homme se mit à regarder les bijoux exposés. Young-ae le regarda à la dérobée. Ses yeux lancèrent des étincelles :

Mon Dieu, c'est mon jour de chance ! Mon premier client est jeune, mignon et à un air tout à fait innocent... on dirait une vraie petite poupée que je me ferais une joie de câliner !!! pile comme je les aime ! Ma vieille, celui-là, tu ne le laisses pas filer, au travail !, pensa-t-elle.

Lui tournant le dos, elle dégaina son miroir de poche, replaça une mèche rebelle derrière ses oreilles, se repoudra légèrement le nez et remonta son soutien-gorge. Elle pensait que l'auto-suggestion était son principal atout : si dans sa tête elle se convainquait qu'elle avait moins de trente ans, alors la personne en face ne verrait pas qu'elle avait en réalité plus de quarante ans.

Elle se dirigea vers le jeune homme et lui prenant le bras des deux mains, de son sourire le plus ravageur elle lui annonça :

"Bienvenue dans ma boutique, elle vient tout juste d'ouvrir et vous êtes mon premier client ! Demandez-moi tout ce que vous voulez, j'essaierai d'y répondre, dans la mesure de mes moyens. Avec les meilleures réductions bien sûr !"

Un léger clin-d'oeil accompagna la fin de sa phrase.

J'aurais pas dû rajouter cette phrase, ça donne l'impression que je vends mes charmes !

Il regardait, ne disant rien de plus. Ayant été mordu à vingt ans, son visage n'avait jamais plus changé, et il n'avait jamais eut l'air mature. Mais ça ne le dérangeait pas, son caractère s'opposant tellement à cet air de porcelaine qu'au final... Et bien, il avait apprit à tourner tout cela à son avantage. Il regardait les bagues avec un style masculin. Il fallait trouver une alliance digne de son nom où Emiru allait franchement lui faire la tête. Il voulait des diamants non? La vendeuse finit par venir vers lui, s'accrochant à son bras et attirant donc son regard sombre qu'il posa sur elle. Ryo avait l'habitude de toujours lire dans les pensées des gens, et là... Il n'entendait rien. Une vampire, donc.

"Vous ne faites pas que des contre-façons? J'ai besoin d'une..."

Le mot avait du mal à sortir. LUI, il cherchait une ALLIANCE, pour une homme. Un humain en plus. C'était tellement improbable qu'il avait envie de se planquer rien que de le dire à haute voix. Franchement... N'importe quoi.
Encore quelques mois plus tôt, voir cette jolie vendeuse lui aurait plu, il l'aurait même invité à dîner, sortir, plus si affinité. Les femmes pour les relations, les hommes pour le sexe. Et là, il avait accepté d'en 'épouser' un, et encore, faudrait que ce soit possible.

"Faut que je trouve une alliance, pour un homme. Donc, vos bricolages de tout à l'heure m'inquiètent un peu."

Si il offrait un faux au médecin, c'était du suicide!

Le jeune homme posa son regard sur elle. Il y avait une telle profondeur dans sa pupille, une telle obscurité. Un léger frisson lui parcourut l'échine. Une sorte de prémonition. Cet homme dégageait une chose semblable que l'homme qui l'avait changé en vampire, il y a plus d'un an, avant de s'enfuir.

Elle en était presque sûr, ce client n'était pas un homme ordinaire. Le premier vampire qu'elle rencontrait depuis qu'elle en était devenue un elle-même.

Mais ça ne l'empêchait pas d'être d'emblée désagréable ! Il osa lui dire "vous ne faites pas que des contrefaçons ?". Pour qui se prenait-il! Ses contrefaçons étaient tellement réussies qu'elle pourrait lui en refiler une sans qu'il ne s'en aperçoive !

Au moins avait-il être le mérite d'être franc. Un peu trop même !

Je vais avoir du mal à lui refiler ma camelote habituelle. Bon, ma vieille, c'est ton premier client, il pourrait te faire une sale réputation, surtout qu'il n'a pas l'air de mâcher ses mots ! Soyons honnête, pour une fois !

Lui lâchant le bras, elle lui fit un signe pour qu'il regarde la vitrine légèrement sur sa droite et lui expliqua :

- Une alliance, ce n'est pas un achat qu'on fait à la légère. Ça demande de la réflexion. Voyez-vous, l'alliance, lorsqu'on l'offre, doit contribuer à créer un instant de perfection : le porteur de l'alliance doit se souvenir précisément de ce moment jusqu'à la fin de sa vie rien qu'en regardant son bijou, qu'on lui ait offert il y a une semaine ou 30 ans. Une alliance doit refléter autant les sentiments de la personne qui l'offre, que la personnalité de celle qui la reçoit. Vous me comprenez ?

Elle fit une pause de quelques secondes pour voir l'effet que son discours laissait transparaître sur le visage de jeune homme. mais il restait stoïque. Elle ne lui laissa pas le temps de répondre :

- Par exemple, regardez cette large alliance ciselée en or.

Elle ouvrit la vitrine et en sortit une belle bague en plaqué-or, un peu "too much".

- Celle-ci veut dire : je brûle d'amour pour toi. Elle transmettra à la personne une énergie amoureuse incroyable. le problème, c'est que ce genre d'amour, généralement il ne dure pas plus de 3 ans, donc à déconseiller ! Celle-là...

Elle prit entre ses doigts une bague en or blanc (véritable cette fois !), extrêmement fine, avec trois minuscules diamants incrustés sur le devant (eux-mêmes vrais, enfin, deux sur trois au moins, pour le troisième, elle avait un doute), formant un triangle.

- Vous voyez cette timidité ? Cette solennité ? Le message est clair : même s'il t'arrive d'être ingrat avec moi, je connait tes profonds sentiments et je ressens les mêmes. je serai l'ombre à tes pieds pour l'éternité, aussi solide que ces diamants éternels.

Elle lui prit la main et glissa dans sa paume les deux bagues.

- Vous devez m'en dire plus sur vous et sur la personne qui va le recevoir, sans quoi je ne pourrais pas vous conseiller !

Il n'était pas désagréable! Il posait une question. Il ne voulait pas acheter un faux, et il n'était vraiment, vraiment pas stupide. Une alliance... Ryo ne pouvait pas faire n'importe quoi. Quand il faisait une promesse, alors il fallait le faire jusqu'au bout, de la manière la plus parfaite pour rendre son adorable médecin heureux. Et cette pensée l'effrayait comme lui faisait plaisir. Bref, la femme avait l'air un peu vexée mais se décida enfin à faire son travail, lui racontant l'histoire de deux bagues. La première ne lui plu absolument pas. Elle ne représentait ni lui, ni Emiru. La deuxième, n'était pas vraiment ça.

"Et avez-vous une bague qui dit, je t'aime même si tu es un sombre idiot obsédé par le saucisson? Parce que ce serait parfais."

Lâcha-t-il avec son stoïcisme et son cynisme habituel, même si dans le fond ça l'attendrissait tout cela. Il reposa la bague trop brillante à son goût, regardant celle en or blanc. L'idée du ombre solide, présente pour protéger Emiru, lui plaisait. Il était un vampire, alors, pour l'ombre, il connaissait!
Son attention se reporta sur la vendeuse qui lui demanda d'en dire plus sur Emiru. Ryo se dit qu'il avait une fâcheuse tendance à trop parler du médecin à des inconnus!

"Il est... Capricieux, franchement, il pleure pour un rien et il s'agite dans tous les sens. C'est plus ou moins mon opposé diamétrale. Vivant. Mais horriblement adorable. Mauvaise habitude de me faire craquer en un battement de cil. Voilà."

En gros, à l'écouter, Emiru n'était pas un cadeau. Mais Ryo l'aimait comme ça. Et puis ils s'étaient disputés quelques jours plus tôt, lui demandez pas de dégouliner d'amour!

"Obsédé par le saucisson". Young-ae plissa les yeux en examinant le visage du jeune homme, l'air de dire : "S'agit-il là d'une façon métaphorique de parler de l'attribut masculin ou bien est-il vraiment fou de charcuterie ?" Se rappelant que cette mimique faisait ressortir les rides au coin de ses yeux elle reprit bien vite son expression lisse habituelle.

Mais celle-ci laissa ensuite place à une déception, assez grande pour qu'elle se remarque par sa moue boudeuse : le jeune homme parlait de son amour pour un autre homme, il était CHASSE GARDEE et Young-ae aurait beau user de tous ses charmes, rien n'y ferait...

A la façon dont il parlait de son amant, elle ressentit une pointe d'agacement dans le son de sa voix, bien que son visage exprimait l'indifférence même. Très vite, elle laissa vagabonder son imagination, aidée en cela par de longues années de visionnage quotidien de séries tv mélodramatiques.

Et si son amant était humain ? Après tout, si le saucisson ne désigne pas une pratique sexuelle, cela veut dire qu'il peut manger normalement... Et puis le client l'avait qualifié de "vivant"... et s'ils s'étaient brouillés parce que la famille de se dernier rejette leur amour et veut le fiancer de force à une jeune femme de bonne famille plutôt que de le laisser dans les griffes d'un vampire paraissant dénué d'émotions ? Et donc, mon client veut une bague de fiançailles pour s'enfuir avec son bien aimé avant que celui-ci ne tombe dans les griffes du plan machiavélique de sa famille ! Et s'il y avait un enfant illégitime derrière tout cela... Mais oui, imaginons que...

Ses yeux lancèrent des éclats de malice, la curiosité lui brûlait la langue. Elle se ressaisit, il fallait la jouer fine pour en apprendre plus.

Elle pensa à une bague parfaite. Elle faisait partie de la trentaine de pièces d'exception qu'elle avait prises avec elle quand elle avait décidé de quitter sa boutique de Seoul. Un bijou qu'elle adorait, mais elle n'avait jamais trouvé un seul client parfait pour le porter.

- Cette bague est un peu particulière : l'anneau assez épais et carré est en or blanc et maintient cette pierre par ces deux accroches qui s'enfoncent dedans. Vous voyez ce noir aux reflets gris : il s'agit de magnétite. C'est un aimant. Sa forme est symbolique : une sorte de grosse larme à la pointe courbe très effilée. J'y vois un caractère inconstant, agité, impulsif, canalisé par les sentiments d'un être froid, réfléchit et dévoué. Ce dernier est l'or blanc robuste qui porte cette pierre folle et lui transmet une part de sa noirceur. Mais en contrepartie, l'aimant rayonne d'une énergie farouche, l'attire, l'apaise. Ca pourrait vous ressembler ? Il est dit que si on porte la pointe effilée vers l'extérieur, personne ne pourra briser l'union des deux êtres symbolisés par cette bague. Par contre, je ne pourrai vous proposer aucune bague qui symbolise un idiot obsédé par le saucisson... Un collier peut-être...

"La charcuterie."

Précisa-t-il tout de suite en voyant Lee plisser les yeux curieuse. Bah oui, il s'était tellement habitué à Emiru qu'il en oubliait ce que lui même s'amusait à souligner à sa rencontre. Des gens obsédé par le sexe, il y en avait! Mais par la charcuterie, à ce point, c'était rarissime. Du coup, on imaginait directe autre chose pour le saucisson.

Et oui, Ryo était chasse gardé. Il ne l'aurait jamais imaginé lui-même. Et il se demandait encore à quelle sauce Daisuke le mangerait en découvrant qu'Emiru était allé jusqu'à le faire l'épouser. Il se sentait assez ridicule comme ça. Mais dire non à cet humain... Impossible. Emiru aurait pu se lasser, de lui, de son visage figé sans expression, de son cynisme, de tout. Mais non, il voulait même l'épouser!

Quoi qu'il en soit, et heureusement, il n'entendait pas les questionnements et imaginations folles de la vendeuse sur son couple. Elle serait sans doute déçue... Bien qu'Emiru soit un humain, ils vivaient une histoire sans trop de soucis. Bref. Elle lui apporta une nouvelle bague. Elle lui plaisait... Mais...

"Vous allez me trouver difficile, mais même si je me vois très bien la porter, ce n'est pas son genre. En plus, il va faire une crise si il n'y a pas de diamant sur sa bague..."

Pire qu'une femme enceinte. MON DIEU, heureusement qu'Emiru était un homme!

"Du coup, j'aime beaucoup la deuxième bague, à moins que vous en ayez une autre à me proposer?"

L'homme n'était pas convaincu par la bague qu'elle venait de lui présenter. Elle lui expliqua d'un ton très pédagogue :

- Vous faites bien d'être difficile, acheter une bague de fiançailles n'est pas un acte anodin. Il faut se sentir à l'aise avec le bijou que l'on veut offrir.

Elle se mit à côté de lui, passa son bras sous le sien et l'entraina vers un autre présentoir. Celui-ci contenait des bagues de couple, vendues par pair. La plupart avaient un ou plusieurs diamants incrustés. Dans chaque lot, chaque bague était unique.

- Voici le présentoir des couples. Je me suis efforcé de mettre ensemble deux bagues qui pourraient représenter deux personnes partageant de forts sentiments. Certaines, au premier abord, semblent ne pas aller ensemble, mais en y regardant de plus près, on imagine très bien le type de personnes qui pourraient les porter et en quoi leurs caractères différents s'accordent. Peut-être que vous pourrez trouver votre bonheur. Sinon, nous resterons sur la bague qui vous a plu ! Et après, comme je suis nouvelle en ville, j'en profiterai pour vous demander de m'indiquer les lieux où on peut s'amuser !

Young-ae ne put réprimer un rire qui transmettait bien les intentions de cette insatiable cougar alcoolique.

La demoiselle ne lui en voulu pas d'être un client compliqué. Tant mieux, Ryo ne voulait vraiment pas se tromper sur le choix de cette bague. Emiru avait décidé qu'il voulait l'épouser. Même si ça ne pourrait pas se faire, ce choix revenait à lui appartenir jusqu'à sa mort... Cette bague représentait ce choix, alors Ryo ne voulait pas faire d'erreur.

Il regardait le présentoir, certaines bagues lui tapaient à l'oeil en effet. Mais son attention fut attirée par une alliance en or blanc, des diamants incrustés formant une ligne au centre. A côté d'elle, il y avait la même, mais avec une seule pierre de la même sorte. Oui, ça les représentait assez bien. Emiru éclatait dans tous les sens, en continue, alors que Ryo restait très sobre, stoique, mais il avait la prétention de penser que ça ne l'empêchait pas d'étinceler lui aussi.

"Je voudrai celle ci, à droite." Dit-il en indiquant celle avec plusieurs diamant. "Et si il veut m'offrir une bague, il se débrouillera comme un grand."

Ryo était content d'avoir trouvé ce qu'il cherchait sans trop se prendre la tête.

"Pour le reste, tout dépend de ce qui vous amuse."

Young-ae s’empara des deux bagues et demanda au jeune home de la suivre jusqu’au comptoir. Elle mit celle qu’il avait choisi dans un écrin noir simple mais élégant sur lequel une inscription manuscrite argentée indiquait en petits caractères : « Bijoux indiscrets de Mme Lee ». Young-ae l’avait rédigée à la main au lieu de le faire imprimer, pas seulement pour des raisons de coût : sa belle écriture, raffinée et toute en rondeurs, apportait un cachet intimiste à ce présent. Elle enroula un ruban argenté autour de l’écran et lui présenta une facture, qui comprenait une remise exceptionnelle de 15 %.

- Finissons cette transaction, et ensuite permettez-moi de vous inviter à vous assoir avec moi devant le comptoir pour vous demander quels sont les lieux sympas d’Ake no Roji. Voici ce que vous me devez. Gardez précieusement cette facture, elle vous servira de garantie. En cas de problème, vous pouvez venir me voir pour une réparation à tout moment, durant les trois prochaines années. Comme vous êtes mon premier client, je vous offre la gravure si vous souhaitez ajouter un message à l’intérieur de l’anneau.

Elle sortit un coffret en bois laqué de la taille d’une boite à chaussures sur lequel était marqué à l’encre noir : « âmes esseulées ». Celle-ci était fermée par un petit cadenas chinois doré. Elle s’empara de la broche accrochée à sa chevelure et en déboita un élément qu’elle déplia : il s’agissait en réalité de la clé du cadenas. Elle sortit du coffret une petite étiquette accrochée à une fine chainette. Elle attacha cette dernière à l’alliance que le client ne voulait pas et prit un stylo. Elle lui expliqua :

- Il me faut votre nom. Ces bagues sont faites pour aller ensemble, je ne peux me permettre de vous en vendre une, puis de céder l’autre à un inconnu. C’est un principe que je me suis promis de respecter et je me refuse à séparer ainsi les bijoux que je propose par pair. Je vais inscrire votre nom sur cette étiquette pour faire de cette bague votre propriété. Ensuite, je l’enfermerai dans ce coffre. Elle n’en sortira que si vous vous décidez à venir l’acheter où si une personne me demande une bague dans le but de vous l’offrir. C’est pour cela que j’ai besoin d’y inscrire votre nom.

Ryo récupéra donc l'écrin et paya le montant qu'il fallait pour cela. Il se promenait toujours plus ou moins avec des montants improbable sur lui, on savait jamais ce qu'il pourrait faire de sa journée. D'ailleurs, on pouvait se demander si il existait des vampires pauvres. Peut être les jeunes vampires... Mais les vieux, ils avaient eut le temps de s'enrichir non? Si lui à 167 ans vivait aussi bien... Il imaginait des vampires plus vieux encore, ça ferait tourner la tête à certains sans doute.
Bref, alors qu'il payait, il réfléchissait à cette histoire de gravure. Mais ça il n'était pas sur. Aucune idée de ce qu'il mettrait dans cet anneau. Alors, il n'ajoute à ce sujet rien d'autre d'un "je vous tiendrais au courant pour la gravure", en plus, pas certain qu'Emiru remarque quoi que ce soit.

Finalement, elle lui expliqua que sa bague ne serait pas vendue pour un autre que lui. Pourquoi pas. Il s'accouda au comptoir en observant la fameuse boîte. Pour sa part il n'apportait pas d'importance aux bijoux alors si cette bague finissait avec un autre ça ne le dérangerai absolument pas.

"Mettez Ryo."

Si cela pouvait lui faire plaisir. Le vampire jouait avec l'écrin contenant l'alliance d'Emiru, l'observant en se demandant comment réagirait le médecin. De manière excessive sans aucun doute, il fallait qu'il se prépare à un ouragan.

"Je ne suis pas fan des grandes sorties, alors je serai incapable de vous indiquer les lieux amusant. Je suis plutôt parcs et cimetières..."

Oui, elle était mal tombée si elle voulait s'amuser.

Young-ae inscrivit “Ryo” sur l’étiquette, la rangea avec la bague dans le coffre qu’elle referma, emboîta la clé dans la broche et la remit dans sa chevelure. Une bonne affaire de conclue. Et puis ce n’était pas une bague d’une qualité exceptionnelle par rapport au prix qu’elle avait fixé – même avec la réduction de 15 %, sa marge était appréciable.

Ryo ne semblait pas très enchanté à l’idée de bavarder avec elle et paraissait pressé d’en finir. Pourtant, elle avait attendu plusieurs heures sans qu’un seul client ne vienne dans sa boutique. Elle éprouvait un grand besoin de parler, et elle comptait bien lui tenir la grappe encore une bonne dizaine de minutes avant de le laisser partir. Mais elle se trouvait face à un mur : comment rebondir après la réponse du jeune homme sur les lieux à conseiller pour sortir et s’amuser…

- Les cimetières… qu’est-ce qui peut bien y avoir d’intéressant à faire dans un cimetière ? Des personnes célèbres y sont enterrées ? Ca ne m’est jamais venu à l’idée d’en visiter un… En fait, je ne me rappelle pas avoir mis les pieds une seule fois de ma vie dans un cimetière. C’est à expérimenter ! Vous y faites quoi vous ?

Elle était bien décidée à soliloquer pendant dix minutes s’il le fallait, mais elle aurait sa conversation « hors commerce » ! Elle venait d’arriver en ville, n’avait encore rencontré personne d’intéressant et ressentait un besoin pressant de se sociabiliser et de créer des attaches, aussi menues fussent-elles. Si ça réponse était négative ou laconique, elle trouverait bien un autre terrain sur lequel le lancer.

Ryo n'avait jamais l'air enchanté. Jamais l'air en colère non plus. Juste l'air blasé. Depuis bébé, il avait l'air blasé. Un enfant ne pleurant pas, ne riant pas non plus, puis un adolescent au même air ... sans expression. Mordu à 20 ans, voilà plus de 160 ans qu'il n'avait pas l'air enchanté. Seul Emiru arrivait à le dérider un peu. Mais la jeune femme n'en démordait pas, et continuait à essayer de le faire parler. Ryo appréciait cela chez elle.

Il regarda par la vitrine de la boutique, ou certaines personnes passaient, affairées, avant de réfléchir à ce qu'il pourrait bien répondre à ces questions.

"Dessiner."

Il reporta son attention sur la jeune vampire. "Je passe beaucoup de mon temps à dessiner. Je cherche des endroits qui m'insipirent, et donc, les club et autres occupations mondaines n'en font pas vraiment partit..."

Expliqua-t-il ensuite. "J'aime aussi dessiner les personnes que je rencontre. Pourquoi pas vous un de ces jours?"

Un nouveau visage pour sa collection impressionante.

- Ce serait avec plaisir ! Du moment que vous ne me demandez pas de poser sur une tombe !, dit-elle en riant.

Elle ajouta, en levant les yeux au plafond et en hochant la tête de haut en bas :

- Il faudrait que j’aille quand même faire un tour au vieux cimetière. En passant devant il me semble avoir vu une chapelle, que j’aimerais bien visiter.

Elle changea ensuite de sujet, ne voyant pas quoi ajouter sur les cimetières, l’œil riant :

- J’espère que vous reviendrez me dire comment votre compagnon a trouvé la bague ! Peut-être que lui aussi viendra vous en acheter une très bientôt, et j’aimerais le reconnaître !

Elle imagina un jeune homme entrer dans sa boutique avec un saucisson à la main, le portant à sa bouche de temps en temps pour grignoter en regardant les vitrines. Une pensée lui vint à l’esprit et elle la formula aussitôt, sans même penser à mal et se rendit compte qu’après à quel point elle était importune.

- Vous êtes un vampire, et lui un humain… Ça ne doit pas être facile de résister à l’appel du sang, de gérer cette relation…


Elle porta la main à sa bouche :

- Excusez mon impolitesse...

"Non, une tombe, ça n'irait pas."

Il le dit en toute simplicité mais il ne pourrait pas dessiner cette femme sur une tombe. Elle avait l'air encore trop vivante, trop "lumineuse" même si elle avait clairement l'esprit dépravé. Il ne pourrait pas la dessiner dans un cimetière.
Elle lui demanda de revenir al voir, pour lui dire comment Emiru aurait réagit à son cadeau. Ryo en avait déjà une idée mais il préférait ne pas s'avancer.

"Vous le reconnaitrez si il vient, mais je doute qu'il le fasse."

Pour une raison x ou y. Déjà, Ryo n'avait pas demandé de bague. Ensuite, Emiru serait trop omnubilé par comment organiser son mariage pour penser à ça... Bref, Ryo ne s'en vexerait pas.
Lee mit finalement le doigt sur un problème certain concernant une relation entre un humain et un vampire.

"Il m'arrive de le mordre. L'odeur de son sang est tellement particulière, ce serait impossible d'y résister en le voyant aussi souvent."

Ce n'était pas déplacé, elle avait raison d'être curieuse à ce sujet.

"Pour l'instant, je me demande surtout comment je vivrai sa première ride."

Eh! N'en riez pas! Ryo a été mordu à 20 ans tout pile... Il ne sera jamais vieux... Et Emiru comptait bien vieillir lui! Ca, c'était un vrai problème.

Young-ae comprenait l’appel du sang dont parlait Ryo. La première fois qu’elle s’était nourrie d’un humain, elle avait été prise d’une folie meurtrière, elle ne contrôlait plus ses gestes, comme si elle était devenue une simple marionnette entre les mains d’une soif ardente d’une puissance phénoménale. Avant qu’elle ait pu réaliser ce qu’elle faisait et reprendre le contrôle sur elle, elle avait vidée sa victime de son sang et son corps mutilé s’était affalé lourdement à ses pieds, les yeux écarquillés par la surprise plus que part la peur. Young-ae en avait été traumatisée. Non pas parce qu’elle venait de tuer quelqu’un, le remord et la moralité avaient disparu depuis sa transformation, mais parce qu’elle avait perdu toute possession de ses moyens.

La même frénésie s’était reproduite les fois suivantes. Mais elle commença peut à peu à maîtriser cet instinct : elle se rendit compte qu’elle reprenait le contrôle total dès qu’elle était rassasiée. Il lui suffirait de prévenir ses besoins en sang avant qu’elle ne soit trop affamée pour résister. Elle s’était depuis tenue à cette règle : se nourrir avant de ressentir une quelconque soif d’hémoglobine.

Pourtant, ce qui était étrange dans l’affaire, c’est qu’elle ne ressentait qu’un faible plaisir à se nourrir. Autant que possible, elle laissait ses victimes en vie, ne leur prélevant que le sang nécessaire à sa soif. Elle pouvait donc parfaitement comprendre la position de Ryo, pensait-elle, pris entre le tiraillement de la soif et la maîtrise de soi pour ne pas tuer sa victime. Peut-être qu’un jour elle aussi ressentirait une attirance très forte pour l’odeur du sang d’un homme…

Ryo évoqua le problème de sa relation amoureuse qui semblait le plus important.

- Ne vous inquiétez pas pour ça. Vous savez, j’ai toujours vécu au jour le jour. Faire des paris sur l’avenir, se projeter dans 10 ans, 20 ans… je pense que tout cela ne mène à rien, si ce n’est la tristesse et la déception. Profitez de chaque jour qui vient sans vous préoccuper de telles interrogations. Je ne veux pas dire par là que votre couple est voué à l’échec et que vous vous séparerez bien avant que la vieillesse le touche, je veux juste dire qu’il vous faut profiter du présent sans y créer aucune ombre de doute et d’incertitude. J’ai lu quelque part, c’est un auteur français qui a dit cela, une idée très juste : « le bonheur, ce n’est que des souvenirs. »

En fait, Young-ae avait lu cela dans la presse féminine, plus précisément dans un article intitulé : « Mon mari me trompe avec une femme plus jeune que moi, que dois-je faire ? » La journaliste avait trouvé sur Wikipédia cette phrase de Balzac qui lui avait plu, bien qu’elle était loin d’en comprendre la portée, et l’avait insérée à la va-vite dans son article, au milieu d’autres bonnes paroles, dont certaines d’une sottise affligeante.

- Alors créez-vous d’abord vos souvenir, puis jouissez aussi longtemps que possible de ce bonheur. Je n’en ai pas l’air comme ça, mais physiquement, j’ai quarante ans.

Malgré tous ses efforts pour dissimuler ses rides, celles-ci pouvaient se deviner au coin de ses yeux. Bien qu’arrêté par sa transformation, le ravage du temps avait commencé son œuvre. Seules ses mains ne laissaient rien paraître. Leur finesse, la douceur de leur peau… On leur aurait donné à peine 25 ans. Portant sa main droite à sa bouche, Young-ae rit :

- Je crois bien être la vampire la plus vieille de la ville, du moins en apparence ! J’aurais aimé être changée en vampire plus jeune, pour conserver la splendeur de ma beauté, avant qu’elle ne commence à faner, ou bien ne pas être transformée. Mais le destin en a voulu ainsi. L’important c’est de se sentir bien soi-même et d’être aimé par les gens que l’on estime. Qu’importe si votre conjoint prend des rides ? En sera-t-il moins désirable ? Les moments de joie passés ensemble ne vaudront-ils plus rien pour quelques rides, des cheveux blancs ? Même un fruit à la peau fripée peut receler une succulente chair…

Young-ae voulut lui demander pourquoi il ne l’avait pas transformé, pour le rendre jeune éternellement. Mais elle se retint. Elle n’était pas sûre elle-même, maintenant encore, d’accepter de devenir un vampire si on lui en offrait l’occasion, elle pouvait donc comprendre qu’un humain refuse d’être transformé, et, de même, qu’un vampire se refuse à créer un de ses semblables.

En étant jeune vampire, il était difficile de contrôler sa faim. Tout le monde avait du mal au début, et tuait automatiquement ses victimes. Pour sa part, Ryo avait pour principe de ne pas laisser de survivant. Parce que parfois il n'avait plus envie de boire du sang, alors il se nourrissait peu et quand il mangeait, il tuait. Mais depuis Emiru et son sang délicieux, il se nourrissait régulièrement de lui...
Quoi que depuis qu'ils s'étaient engueulés cette semaine, il avait fait de nouvelles victimes. Donc au final, il continuait à tuer en mangeant... Mais Ryo... Ryo avait voulu devenir vampire. il avait supplié, il s'était battu, il avait tout fait pour devenir vampire. Manger le sang des humains, ça ne lui faisait rien du tout. Bien que quelque chose de plus dur serait bienvenue une fois de temps en temps.

Il écouta Lee lui dire qu'il ne devrait pas se soucier du futur. Peut-être bien. Il devait profiter de la présence d'Emiru tant qu'il le pouvait. Et même quand il serait vieux, le soutenir et l'aimer. L'épouser, ça représentait aussi cette promesse qu'il faisait. Il respectait totalement le choix de son amant de vouloir vieillir et rester humain. Il respectait tous les choix, même si il comprenait plus facilement qu'on devienne éternel. Il ne forcerait jamais son amant à le rejoindre dans cette aventure.

"Je pense que vous êtes une très belle femme. Vous devez faire des ravages chez la gente masculine." Déclara-t-il. "Vous avez été mordue au moment qu'il fallait. Mais à vous écouter je me demande depuis combien de temps?"

Woaaaah Ryo pose des questions.

Young-ae n’éprouvait aucun mal à parler d’elle. Depuis qu’elle était devenue une créature de la nuit, elle n’avait pas eu beaucoup d’occasions de rencontrer ses congénères. Ake no Roji lui offrait la possibilité d’en apprendre un peu plus sur sa race. Elle se demandait s’il était d’usage chez les vampires de se confier facilement ou si au contraire il fallait mieux rester discret sur sa vie. L’immortalité devait forcément changer son rapport à l’autre : devait-on être plus direct, hors des conventions, ou au contraire se parer de milliers de précautions, laisser le temps délier les langues ? Young-ae avait vite choisi son parti. Et puis elle était bavarde par nature, comment aurait-elle pu se taire lorsqu’on lui posait une question si directe ?

- Merci.

Si elle avait été encore humaine, elle aurait probablement rougi. Bien qu’elle soit sûre d’elle, un compliment la rendait toujours toute chose. En effet, elle en avait fait des ravages auprès de la gente masculine, au sens littéral, et maintenant au sens propre !

- J’ai été mordu au tout début de l’année dernière et mon créateur m’a abandonnée aussitôt. Je suis donc une novice ! Je ne sais pas comment ça s’est passé pour vous, mais j’ai eu du mal à quitter ma vie d’humaine. Jusqu’il y a peu, je continuais à travailler la journée – ma précédente boutique était dans un centre commercial en sous-sol, ce n’était pas difficile ! – et à m’amuser en soirée. Mais bon, ça ne pouvait pas durer plusieurs années… J’ai décidé de vivre pleinement en m’acceptant et c’est pour cela que je suis venue ici. On dirait que les vampires dominent cette ville et je veux en apprendre autant que possible pour développer mon potentiel, et profiter de ma nouvelle vie ! Est-ce que les vampires sont très âgés ici ? Quel âge avez-vous ?

Tout dépendait des vampires, et de ce qu'ils voulaient dire ou non. Ryo devait encore cacher certaines choses, surtout vu sa position. Mais pour son âge ou son origine, il n'avait rien à cacher. Il était tout à fait fier et conscient de sa personne. Il avait même dit aux Rebelles directement qu'il était vieux et normalement fait pour soutenir Daisuke.
Enfin, vieux. Il était encore jeune si on comparait à certains autres. Yuusuke, Daisuke, Hiro... Lui et ses 167 ans, ils avaient l'air bien ridicule. Pourtant parfois, Ryo s'avouait à lui même qu'il pensait comme un vieux. Sans doute son éducation.

Elle lui raconta qu'elle avait été mordu très récemment. Abandonnée directement par son Maître... Surprenant. Ryo avait passé un moment auprès du sien, qui lui avait apprit nombreuses choses sur les vampires. C'était important de ne pas être lâché dans la nature, sinon ça faisait parfois des vampires totalement déséquilibrés. Cependant, Lee avait l'air de gérer totalement cette nouvelle vie.

"Il y a de tout. Vous êtes la plus jeune que j'ai rencontré jusqu'ici. J'ai 167 ans. On m'a mordu à ma demande quand j'ai eu 20 ans, je faisais partit de l'armée spécial du Shinsengumi. Si vous avez besoin de conseil, je peux vous en donner quelques-un. "

Le passé de Ryo devait recéler de grandes richesses. Même si elle était relativement ignorante dès qu’on parlait de faits historiques, elle savait ce qu’était le Shinsengumi. Ainsi, il avait dû faire partie de l’une des élites guerrières les plus efficaces du monde. Il avait dû se plier à des lois impitoyables et respecter un entrainement inhumain pour atteindre le niveau de ces tueurs légendaires. Ceci expliquait peut-être l’incroyable absence d’émotions sur son visage. Pourtant, il avait été transformé très jeune.

- Le Shinsengumi… Vous avez dû vivre de terribles épreuves… Je serais heureux d’entendre votre histoire.

Young-ae était trop bavarde et curieuse. Elle ajouta en agitant la main en l’air pour s’excuser :

- Bien sûr, une prochaine fois, quand nous nous reverrons !

Elle profita de sa proposition pour lui demander :

- Je viens d’arriver en ville, mais j’ai l’impression qu’il y a quelques troubles au niveau politique. J’ai entendu parler du Premier et d’un groupe de dissidents… Vous savez de quoi il retourne ? Suite à votre passé, peut-être que vous êtes impliqué dans ce genres d’affaires… Mais ne vous sentez pas obligé de me répondre !

Young-ae avait l'impression, lorsqu'elle avait discuté avec la personne qui lui avait cédé la boutique, que cette ville était une sorte de terrain de jeu pour factions mafieux. Elle n'avait pas vraiment compris de quoi il retournait mais s'était dit que ça ne devait pas avoir d'impact dans la vie quotidienne des habitants d'Ake no Roji. Sa philosophie : ne crée pas d'embrouilles et on te laissera tranquille.

Elle connaissait le Shinsengumi, de quoi marquer des points chez Ryo. Il était très, très, voir excessivement fier de son passé, de ce qu'il avait accomplit et vécu. Être à la hauteur du Shinsengumi ne signifiait pas rien, et cette femme le savait.

"Je vous raconterai ce qui est légalement possible de répondre."

Même si, il n'existait pas vraiment de loi l'empêchant de parler maintenant, de témoigner. Il existait encore d'autres vampires de l'armée spéciale du Shinsengumi Pourquoi ne pourraient-ils pas en dévoiler les secrets? Mais Ryo les gardait quand même, par respect. Il pouvait tout de même en parler un peu. Et toujours avec grand plaisir.

Elle lui parla alors de la situation ici. Ryo étant un espion, il ferait attention à ses mots. Il devait passer pour rebelle auprès de tout le monde. Même les nouveaux, même ceux qu'il connaissait. Il avait même voulu le cacher à Emiru qui l'avait découvert par pur accident. Parce que Daisuke était pas très doué des fois.

"Et bien, il y a Daisuke, le Premier, ses fidèles, bien sur... Les rebelles, qui s'opposent à Daisuke, et ceux qui n'ont pas grand chose à faire de tout ça." En gros, c'était ça.

- Et bien, je me demande pourquoi les gens se compliquent toujours la vie. Se mêler de tout, prendre des décisions à la place des autres, tout ça pour courir après un pouvoir illusoire qui n’apportera que peine et déception… Un vampire devrait savoir tout ça. Encore, on peut comprendre l’entêtement d’un homme et ses erreurs : le temps d’une vie d’humain est finalement assez bref. Mais que des vampires se marchent sur les pieds, décennies après décennies… ils devraient comprendre que ça ne sert à rien, si ce n’est se fatiguer et se faire détester… Entre ce Daisuke, qui est sûrement un égocentrique fini qui se croit investi d’une mission divine, ses fidèles qui manquent totalement de jugeote et les rebelles qui aiment chercher l’embrouille… Pourquoi risquer les soucis quand on peut vivre paisiblement ?

Young-ae avait sorti une tirade digne d’un pilier de bar. Elle avait parlé avec franchise… Et si Ryo était un rebelle ou un fidèle de Daisuke… Tant pis, il comprendrait bien sa position.

- Vous savez, je ne crois pas qu’on puisse changer quoi que ce soit à l’ordre des choses. La politique idéaliste, ça n’existe pas dans notre monde ! Quand quelque chose est trop mauvais, il finit par s’écrouler sur lui-même et est remplacé par un autre ordre, qui montrera ses limites et cetera. Ainsi est faite la vie ! Ceux qui ne sont pas contents n’ont qu’à partir vivre ailleurs ! C’est ce que j’ai fait quand je n’ai plus pu supporter mon mari !

Young-ae rit.

Bien sur que Ryo comprenait cette position. Il la comprenait bien mieux que celle des Rebelles. Il n'en tiendrait donc pas rigueur à la nouvelle venue. Peut être qu'avec le temps elle choisirait un camps, peut être que non.
Tout était possible et il n'était pas là pour rallier qui que ce soit à la cause de l'un ou l'autre des partis. Il existait des personnes neutres qui s'en sortaient tout à fait remarquablement dans cette ville.
La jeune vampire parlait beaucoup, en total contraste avec Ryo qui n'avait pas le débit de parole le plus énorme du monde. Il ne fallait pas lui en vouloir, on lui avait apprit à ne parler que pour être directe, et à garder ses pensées pour soit tant que cela vous est possible. Ayant été mordu très jeune, il avait rapidement sut appliquer ce conseil.

"Quoi que vous en pensiez, cette ville est réputée pour la guerre entre deux clans... Vous n'y trouverez pas le repos, si c'est ce que vous cherchez."

C'était là bien tout ce qu'il avait à en dire.
Même les personnes neutres ne pouvaient décemment pas espérer s'en sortir indemne dans cette guerre. Et c'était aussi pourquoi il devait toujours avoir l'oeil sur Emiru.

- Vous savez, je ne demande qu'une chose : m'installer tranquillement et rencontrer le plus de gens intéressants possible. J'aurais bien le temps de me reposer ! A vrai dire, si je suis venue ici, c'est également pour livrer une guerre. Elle est sans doute moins spectaculaire que celle de ces deux factions politiques, mais c'est la mienne et elle me tient à cœur.

Young-ae s'arrêta. Son regard se fit vague, comme si elle pensait à un événement passé, et l'expression sur son visage devint moins joyeuse. Elle se ressaisit bien vite et laissa apparaître un grand sourire :

- Qu'importe les opinions de chacun, je suis certaine qu'il y a toujours un terrain sur lequel on peut réussir à se retrouver, s'entendre et s'apprécier !

Sa longue expérience dans la consommation d'alcool parlait pour elle.

- Qui sait, peut-être que quand j'aurai mis de l'ordre dans ma vie, que je serai bien installée et pleine de ressources, je participerai à l'amélioration des relations entre les habitants de cette ville !

Young-ae rit. En tant que suceuse de sang, c'était mal parti pour se faire apprécier des humains... Pourtant, apaiser les tensions était un de ses passe-temps préférés, et dès que des histoires de toutes sortes arrivaient jusque dans ses oreilles, il fallait qu'elle y mette son grain de sel !